27 - La macrale et le vieux garçon.

Publié le 31/08/2017 à 18:32 par le-spermatozozo-ide Tags : vie moi monde bonne chez enfants femme société divers sourire jeux animaux sur jardin maison image background

La dernière propriété située sur ce chemin campagnard servait de refuge à la Sorcière du village. Enfin ! c’est ce qu’on racontait pour nos effrayer. En guise de macrale ( macrale vient du wallon liégeois signifiant « sorcière ), nous y avons trouvé lors de nos expéditions, une dame d’une cinquantaine d’années qui vivait seule. Son fils, un grand adolescent en pleine crise avait abandonné la maison et faisait les quatre cent coups dans la région d'Anhée, en bord de Meuse non loin de Dinant. Cette ville du bout du monde située à près de trente kilomètres de chez nous faisait l’effet d’une capitale, d’une mégapole dans nos esprits d’enfants. Il y faisait le caïd et se revendiquait l'étoffe de « blouson noir », ce qui impressionnait fortement les braves gens que nous étions car de temps en temps, le journal local relatait un petit fait-divers, un larcin commis par l'énergumène.

 

Cette femme était gentille mais restait cloîtrée dans son antre. Le fait de vivre à l’écart des villageois en faisait une marginale et toutes sortes de bruits couraient à son sujet parmi les ouailles de notre cureton. Sa maison était petite, avec un toit bas ; de toutes petites fenêtres qui ne laissaient presque pas entrer la lumière. Elle possédait un grand feu ouvert dans lequel pendait souvent une grosse marmite. Son contenu mijotait sur des bûches qui crépitaient en envoyant des étincelles aux alentours, ce qui donnait à la scène un effet magique. Mais en guise de lézards, d’araignées, de serpents ou de crapauds, c’étaient de délicieux morceaux de sanglier qui mijotaient en dégageant des odeurs aphrodisiaques pour nos petits estomacs. Elle nous faisait goûter et jamais nous n’avons été malades, empoisonnés. Nous passions régulièrement, en cachette des adultes, afin de causer un peu avec elle en grignotant quelques friandises.





Au pied de la maison, la route plongeait brusquement vers le bas, puis tournait sec à gauche ( comme je vous l'ai écrit précédemment ). Dans ce tournant, à droite, dans un renfoncement de la chaussée, la maison des L...  où habitaient deux garçons de notre âge qui partageaient nos jeux; à gauche et en épingle à cheveux, un chemin se précipitait à nouveau vers la pleine campagne ( celui qui conduisait à la maison de la macrale ). Il était bordé à gauche par notre jardin, à droite par le jardin de Victor. Dans cette descente, directement à droite en contre - bas et en bordure de la route principale, la petite épicerie que tenait Léonie, Victor son mari et Jean, le fils, vieux garçon handicapé qui ne vivait que pour ses deux passions ; les lapins et les cartes.



Tous les jours, il enfourchait son vieux vélo sur le porte-bagages duquel il ficelait un grand sac en jute. Il s’éloignait du centre du village et explorait systématiquement chaque fossé pour y extraire toutes les chicorées et les « pachenaudes » ( wallon de Forrières pour nommer la berce sauvage ou « herbe aux lapins » ) qu’il y trouvait. Son sac bien remplis, en équilibre sur la bicyclette, il revenait à pied nonchalamment, tirant de toutes ses forces sur la cigarette roulée qu’il coinçait aux coins des lèvres. C’était un petit-gros bonhomme, toujours souriant, coiffé au bol et rasé à la Ginsbard. Il aimait manger gras, comme c’est souvent le cas à la campagne. On mettait « onne coutche di bon bûre » ( une couche de bon beurre ) ou de saindouxde 2 cm sur la tranche de pain de campagne découpée grossièrement et on ajoutait une épaisse tranche de lard. Tous les plats baignaient dans la sauce et on avait vraiment intérêt à mettre un bavoir en passant à table.



Malgré son âge avancé, Victor était taquin et il aimait ennuyer sa femme Léonie. Alors, elle faisait semblant de se fâcher et lui lançait : « Clô t'gueu vi Ketor... Va't broctè l'cul su lè ièbe » ( Ferme-la vieux Victor ... va t'essuyer le cul sur les herbes !) et ça nous faisait toujours rigoler.



Ce garçon, un peu simple d’esprit, était par contre une terreur aux cartes ; c’était le roi du couillon.(Le couillon est un jeu de cartes regroupant quatre joueurs, s’affrontant en deux équipes de deux joueurs. L’objectif final est d’être l’équipe à cumuler le plus de points à travers les levées qu’elles ont ramassées.)

 

Et le couillon croyez-moi ce n’était pas lui. Il avait une connaissance phénoménale du jeu et probablement une mémoire visuelle étonnante. Déjà après que chaque joueur ait abattu son premier jeu, il commençait à pouffer en tressautant sur sa chaise ( un peu à la Bouvard ).Il les regardait à tour de rôle, un petit sourire au coin des lèvres et pour chacun avait son petit commentaire. « Arthur, attention ! T’as l’as de cœur. Joseph t’auras pas l’occasion de placer ton roi de trèfle et ainsi de suite »…..Et y gaugnait toudi ( et il gagnait toujours - comme on disait chez nous avec notre wallon namurwet ).



Il lui arrivait à chaque changement de saison, vers l’automne, d’avoir une période où il pétait les plombs. Il avait des crises de colère et ses parents avaient quelques difficultés à le contenir. Son père Victor, un petit vieux voûté et frêle et sa mère Léonie une forte femme à la bonne bouille joufflue, au caractère bien trempé n’étaient pas de taille à endiguer ses rares débordements. Ils attendaient donc que la crise passe, la tête enfoncée dans les épaules. Heureusement cela ne durait que quelques jours. Après, il redevenait doux comme un agneau, d’une gentillesse incroyable et avait tout oublié. Il n’était jamais méchant avec les enfants et les animaux.



Cette petite épicerie était le centre du village, le lieu où se côtoyaient la plupart des habitants. Léonie tenait sa boutique de main de maître et je me souviens de cet alignement de grands bocaux de verre sur le comptoir qui contenaient des bonbons et des bics « Bic » de quatre couleurs différentes. Des étagères remplies de conserves, de sucre, sel, farine... enfin de tout le nécessaire vital pour la vie d'un petit village. Pas besoin de légumes, le marchand faisait du porte à porte avec son camion ou bien les gens cultivaient eux-mêmes tout ce dont ils avaient besoin. Victor, au volant de son Austin grise livrait les bonbonnes de gaz aux villageois.



Cette époque est vraiment nostalgique car la vie avait un cours différent. On ne parlait pas de pollution. Les quatre saisons étaient bien différenciées les unes des autres. Je me souviens de grandes chasses aux papillons dans les prés avoisinant. Il y en avait encore des centaines à l'époque, de toutes les tailles, de toutes les couleurs et nous gambadions dans la campagne portant fièrement comme un trophée ces magnifiques filets à papillons que notre père nous avait ramené de la ville... toute lointaine.



Nos parents ont eu des périodes ou le manque d’argent se faisait cruellement sentir. Pourtant, je ne me souviens pas d’avoir été malheureux, d’avoir manqué de quelque chose. Il faut dire que les besoins, les tentations de l’époque étaient bien peu de choses comparés à notre société de consommation. On pouvait presque vivre d’amour et d’eau fraîche. Pour jouer aux cow-boys et aux indiens, quelques branches d'arbres et des cordes. Des carabines découpées par nos parents dans une simple planche de sapin et le tour était joué.